Foi, espérance et charité

« Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité. » Cette phrase de saint Paul renverse tout, bouleverse tout, mais aussi engendre tout. Cela était vrai à son époque bien sûr, mais cela l’est aujourd’hui encore pour nos contemporains, et même pour nous. C’est le défi suprême car « charité » ne veut pas dire « aumône », comme on le croit souvent aujourd’hui, mais désigne un amour profond et actif qui dépasse l’instinct, l’intérêt et le sentiment. C’est l’amour qu’a manifesté le Christ pour nous ; c’est l’amour que nous devons avoir pour Dieu et pour le prochain. Foi, espérance et Charité sont les vertus chrétiennes.

Prudence, tempérance, force d’âme et justice étaient les quatre vertus cardinales pour les Grecs et dans l’Ancien Testament (Sg 8, 7). Elles le sont resté dans la civilisation européenne. Elles sont sans doute excellentes mais elles ont le défaut de ne pas empêcher celui qui les pratique de se renfermer sur lui-même, ce qui fait perdre à ces vertus toutes leurs qualités. Sans l’amour du prochain la prudence interdit l’accueil et l’hospitalité, la tempérance devient un refus de vivre pleinement, la force d’âme débouche sur l’insensibilité et la justice amène surtout à condamner ses semblables. Seuls les Israélites avaient eu l’idée de l’amour du prochain et de l’amour entre Dieu et l’homme, et seul Jésus faisait de cet amour un accomplissement de la religion. Le reste de l’humanité ne connaissait que l’amour familial et l’amitié qui ont le défaut, si on s’y arrête, de n’ouvrir qu’à quelques uns et de fermer aux autres.

Paul propose donc de mettre au-dessus des vertus grecques trois vertus primordiales qui se suffisent à elles-mêmes : la foi, l’espérance et la charité, qui sont intimement liées. Dans son hymne à l’amour, il met franchement la foi sous la charité. C’est encore plus provoquant que quand il détrônait la Loi en faveur de cette foi. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de destituer la foi mais d’affirmer qu’elle n’a pas de valeur sans l’amour. N’oublions pas que les premiers à reconnaître en Jésus le Fils de Dieu sont les démons (Marc 1, 24) : ils ont dans un sens plus de foi que les disciples, mais ils méprisent l’homme et la création, ce qui les rend ennemis des desseins de Dieu.

La Bible ne nous dit pas « Tu croiras en Dieu » mais « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». La vraie foi n’est pas croyance, et elle n’est confiance que parce qu’elle est d’abord amour du fidèle pour Dieu. Elle n’est pourtant pas secondaire : dans la deuxième partie de son éloge, Paul donne une définition de l’amour exigeante, telle qu’elle n’a été atteinte que par Jésus, parce qu’il est Fils de Dieu. Sans ce modèle, l’amour humain est teinté d’illusion, d’égoïsme, souvent même de violence et d’injustice. Si tout homme peut faire l’éloge de l’amour, nul ne peut lui donner sa pleine dimension sans la foi en l’amour de Dieu tel qu’il a été incarné par le Christ. Enfin, foi et amour ne sont pas grand chose s’ils ne se déploient pas dans le temps par l’espérance.

Mais il y a plus. Pour Paul, si d’un côté la Loi n’est qu’un moyen de révéler à l’homme sa faiblesse, d’un autre côté les prophéties, les inspirations divines et toute la théologie, si elles nous permettent d’avancer dans la foi, ne doivent pas être prises pour un but. Dieu nous dépassera toujours. Nous ne pouvons le rejoindre tout à fait que par l’amour tel qu’il nous est révélé par le Christ.