Extraits de Fratelli tutti, du pape François :
63. Jésus raconte qu’il y avait un homme blessé, gisant sur le chemin, agressé. Plusieurs sont passés près de lui mais ont fui, ils ne se sont pas arrêtés. C’étaient des personnes occupant des fonctions importantes dans la société, qui n’avaient pas dans leur cœur l’amour du bien commun. Elles n’ont pas été capables de perdre quelques minutes pour assister le blessé ou du moins pour lui chercher de l’aide. Quelqu’un d’autre s’est arrêté, lui a fait le don de la proximité, a personnellement pris soin de lui, a également payé de sa poche et s’est occupé de lui. Surtout, il lui a donné quelque chose que, dans ce monde angoissé, nous thésaurisons tant : il lui a donné son temps. Il avait sûrement ses plans pour meubler cette journée selon ses besoins, ses engagements ou ses souhaits. Mais il a pu tout mettre de côté à la vue du blessé et, sans le connaître, il a trouvé qu’il méritait qu’il lui consacre son temps.
64. À qui t’identifies-tu ? Cette question est crue, directe et capitale. Parmi ces personnes à qui ressembles-tu ? Nous devons reconnaître la tentation, qui nous guette, de nous désintéresser des autres, surtout des plus faibles. Disons-le, nous avons progressé sur plusieurs plans, mais nous sommes analphabètes en ce qui concerne l’accompagnement, l’assistance et le soutien aux plus fragiles et aux plus faibles de nos sociétés développées. Nous sommes habitués à regarder ailleurs, à passer outre, à ignorer les situations jusqu’à ce qu’elles nous touchent directement.
65. Une personne est agressée dans la rue et beaucoup s’enfuient comme s’ils n’avaient rien vu. Souvent, des gens au volant d’une voiture percutent quelqu’un et s’enfuient. L’unique chose qui leur importe, c’est d’éviter des problèmes ; ils se soucient peu de ce qu’un être humain meure par leur faute. Mais ce sont des signes d’un mode de vie répandu qui se manifeste de diverses manières, peut-être plus subtiles. De plus, comme nous sommes tous fort obnubilés par nos propres besoins, voir quelqu’un souffrir nous dérange, nous perturbe, parce que nous ne voulons pas perdre notre temps à régler les problèmes d’autrui. Ce sont les symptômes d’une société qui est malade, parce qu’elle cherche à se construire en tournant le dos à la souffrance.
66. […] Par ses gestes, le bon Samaritain a montré que « notre existence à tous est profondément liée à celle des autres : la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre ».[57]
68. […] Nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible ; nous ne pouvons laisser personne rester ‘‘en marge de la vie’’. Cela devrait nous indigner au point de nous faire perdre la sérénité, parce que nous aurions été perturbés par la souffrance humaine. C’est cela la dignité !
75. Les ‘‘brigands de la route’’ ont souvent comme alliés secrets ceux qui ‘‘passent outre en regardant de l’autre côté’’. Le cercle est fermé entre ceux qui utilisent et trompent la société pour la dépouiller et ceux qui croient rester purs dans leur fonction importante, mais en même temps vivent de ce système et de ses ressources. […] L’imposture du ‘‘tout va mal’’ a pour réponse ‘‘personne ne peut y remédier’’, ‘‘que puis-je faire ?’’. On alimente ainsi la désillusion et le désespoir, ce qui n’encourage pas un esprit de solidarité et de générosité. Enfoncer un peuple dans le découragement, c’est boucler un cercle pervers parfait : c’est ainsi que procède la dictature invisible des vrais intérêts cachés qui s’emparent des ressources et de la capacité de juger et de penser.
101. Revenons maintenant à cette parabole du bon Samaritain qui a encore beaucoup à nous enseigner. Un homme blessé gisait sur le chemin. Les autorités qui l’ont croisé n’avaient pas fixé leur attention sur cet appel intérieur à devenir proches, mais sur leur fonction, sur leur position sociale, sur une profession fondamentale dans la société. Elles se sentaient importantes pour la société du moment et leur urgence était le rôle qu’elles devaient jouer. L’homme blessé et abandonné sur la route était une gêne pour ce projet, une entrave, et par ailleurs il n’assumait aucune fonction. Il n’était rien, il n’appartenait pas à un groupe renommé, il n’avait aucun rôle dans la construction de l’histoire. Cependant, le généreux Samaritain a résisté à ces classifications étriquées, même s’il n’appartenait à aucune de ces catégories et était un simple étranger sans place spécifique dans la société. Ainsi, libre de tout titre et de toute charge, il a été en mesure d’interrompre son voyage, de changer de projet, d’être disponible pour s’ouvrir à la surprise de l’homme blessé qui avait besoin de lui.