La méditation de passages de la Bible est essentielle pour devenir disciple missionnaire. Le pape François a conseillé de commencer par revenir à la lecture des Évangiles pour en lancer la dynamique. Non pas que la Bible soit comme un traité pratique sur ce qu’est Dieu et ce que doit faire le croyant. Comme le disent les rabbins, la Bible n’est pas là pour nous donner des réponses mais pour nous poser des questions. Nous devons nous laisser questionner pour nous aider à chercher Dieu et faire advenir le fils de Dieu en nous.
Beaucoup parmi les pères de l’Église voyaient des allégories dans les textes sacrés. Ils savaient ne pas s’arrêter au sens littéral et chercher plus en profondeur le sens réel. L’allégorie est le procédé qu’emploie Jésus pour la parabole du semeur. Mais d’autres reprochaient à cette méthode de lecture de réserver la Bible à des savants et d’en faire une énigme à clef ; ils conseillaient d’en revenir au sens premier. Leur critique était juste mais risquait de conduire à s’en tenir à la lettre sans chercher l’esprit.
Les textes de la Bible sont à la fois plus complexes et plus abordables. Pour le comprendre, il faut se rappeler qu’ils ont été écrits à une époque de transition entre une civilisation de l’oral et une civilisation de l’écrit. À la première appartiennent les mythes, récits fantastiques conçus pour être faciles à mémoriser et pour capter l’attention de l’auditoire. À la seconde appartiennent les livres des philosophes et des historiens grecs qui cherchent à développer un discours rationnel. Mythes et livres ont le même questionnement à la base : qui est l’homme, quel est le sens de sa vie, quel rapport a-t-il avec son environnement, avec l’univers.
Les mythes sont faits pour être écoutés au premier degré mais ils sont conçus pour entrer en résonance au plus profond de nous avec des expériences passées, des traumatismes, des inquiétudes, avec tout un questionnement qu’ils nous permettent de faire surgir pour partir à la recherche de la vérité. Cela se retrouve un peu dans les contes traditionnels pour enfants et, si cela demande beaucoup d’attention, cela ne demande pas plus d’effort ni de connaissance que les contes n’en demandent aux enfants.
La Bible a une ambition de discours rationnel mais elle utilise souvent des récits qui fonctionnent comme des mythes. La Genèse est le livre le plus imprégné de mythologie, mais elle transparaît plus ou moins ailleurs, même s’il s’agit plutôt de chroniques historiques, de poésie, d’allégories ou de textes de loi. Les Évangiles reprennent la structure de l’ancien testament avec un début plus mythologique et une fin plus historique, mais ils mêlent à plaisir les divers genres littéraires pour enrichir la méditation.
Prenons comme exemple le texte d’Évangile de la cinquième rencontre du carnet de route de 2023 (Mt 6, 25-34). Les tenants de la méthode allégorique cherchaient ce que représentaient les oiseaux et les lys des champs mais cela ne donnaient pas d’interprétation intéressante. Les tenants du sens premier n’y voyaient que des comparaisons bucoliques agrémentant le texte. Ils tombaient facilement dans le contre-sens de mépriser la vie terrestre pour ne s’attacher qu’à la vie spirituelle.
Paul (2 Th 3, 10) reproche ainsi à certains disciples de s’arrêter complètement de travailler pour se consacrer à la prière et à l’attente du retour du Christ, rejetant tout le monde matériel. Pourtant, les oiseaux et les lys sont là pour nous ramener à ce monde matériel qui nous entoure et nous constitue. Quand on lit « La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture » on pourrait comprendre qu’il s’agit de la vie spirituelle puisque la nourriture est indispensable à la vie matérielle. Mais l’exemple des oiseaux montre que la nourriture est déjà donnée dans la nature qui nous entoure. Il nous ramène à la situation de l’homme avant le péché originel, vivant de la cueillette. Le récit du jardin d’Eden montre qu’on a gardé la mémoire de l’époque qui a précédé la révolution de l’agriculture et de l’élevage, quand on vivait directement des dons de la nature, et donc de Dieu. L’agriculture peut certes être une manière de prendre soin de la nature mais elle aboutit facilement à se l’approprier et à l’exploiter pour s’enrichir.
Les lys des champs sont quant-à eux comparés à la gloire de Salomon, gloire sans pareille puisqu’elle a été donnée par Dieu pour surpasser toutes les gloires terrestres (1 Rois 3, 13). Mais la gloire de Salomon lui est donnée en lui-même et non par la richesse de ses vêtements, ce qui illustre l’affirmation qui vient d’être faite que le corps vaut plus que les vêtements. Toutes les richesses qu’on pourrait accumuler n’apporteront jamais rien de plus que ce qui est déjà donné par Dieu dans la nature. Il ne s’agit pas de rejeter le monde matériel – notre corps et la nature qui l’entoure – mais d’y chercher Dieu – avec la vie, la beauté, la vérité – et non le profit.
Il et important d’être attentif à chaque phrase du texte et à pousser jusqu’au bout les questions qu’il pose. Ainsi pour le passage de la sixième rencontre, sur le riche et Lazare (Lc 16, 19-31). On risque de s’en tenir au sens évident d’une première lecture : un riche égoïste puni pour n’avoir pas aidé le miséreux à sa porte. Le lecteur est souvent choqué par la situation terrifiante en enfer du riche à qui on refuse toute aide mais il oublie de s’étonner de la raison donnée par Abraham, que le riche a connu le bonheur pendant sa vie et le pauvre le malheur. Est-ce que le bonheur conduit en enfer ? Est-ce que le malheur seul peut conduire au paradis ? Il s’agit bien-sûr d’une provocation de Jésus envers les pharisiens à qui il s’adresse. Il s’agit surtout de noter un renversement de situation. Au début il semble que le riche puisse aider le pauvre mais non pas que le pauvre puisse aider le riche, d’autant que ce pauvre est impur par sa maladie et qu’un pharisien penserait qu’il ne peut apporter que l’impureté au riche. Par le renversement de situation, Jésus veut nous faire sentir que la relation avec le prochain doit toujours être vue comme étant bénéfique dans les deux sens. Le plus humble peut toujours nous apporter seulement un rien, une goutte d’eau, mais qui nous soit en définitive vitale.
Il est important de se laisser questionner par les textes de la Bible. Nous faisons trop souvent comme s’ils devaient nous confirmer dans des certitudes, ou du moins dans des croyances. La vérité est à l’opposé et c’est pourquoi la Parole est souvent comparée à un glaive : les Écritures sont faites d’abord pour détruire nos illusions, nos mensonges, mais aussi pour casser le confort de nos convictions, pour nous amener à un questionnement purificateur et nous conduire à avoir Soif de Dieu.
Gilles Plum