En principe, le disciple est simplement l’élève d’un maître dont il reçoit un certain enseignement, enseignement à l’issue duquel il pourra devenir lui-même un maître. Cette définition ne s’applique cependant pas tout à fait aux Évangiles, par exemple quand on y lit :
« Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses soeurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Quiconque ne porte pas sa croix et ne me suit pas, ne peut pas être mon disciple. » (Luc, 14, 26-27).
La définition s’applique encore plus mal quand on voit que les disciples sont envoyés en mission avec les pouvoirs de guérison de leur maître (Marc, 6, 13), c’est-à-dire en tenant déjà lieu de maître, alors qu’ils ne comprennent même pas encore le sens de la mission du Christ.
Alors comment saisir le sens chrétien du mot disciple ? Il est bien dit que Jésus enseigne, comme le ferait un maître habituel, mais son enseignement passe surtout par des gestes et des attitudes, que ce soit par le lavement des pieds ou par la Passion. Et puis, dans son auditoire, les Évangiles font la distinction entre « la foule » et « les disciples ». Les disciples sont ceux qui ont tout quitté pour le suivre (Marc, 10, 28). La foule est composée de ceux qui sont attirés par les guérisons du Christ et par l’autorité de son discours, qui l’écoutent, mais qui, rebutés par certaines de ses paroles ou certains de ses actes, ne le suivent que de loin, voulant d’abord se préserver.
Il faut dire que l’enseignement de Jésus est quelquefois difficile à accepter. Comme quand il demande d’aimer ses ennemis (Matt, 5, 44). On retient plutôt qu’il faut « aimer son prochain comme soi-même », mais il ne s’agit que d’une citation de la Torah faite par Jésus suite à une demande des pharisiens (Mat, 22, 34-40), ou même faite par un pharisien quand Jésus lui retourne la question de savoir ce qu’il faut faire pour « avoir en héritage la vie éternelle » (Luc, 10, 25-28). Jésus n’ajoute rien à la Loi mais enseigne comment la vivre pleinement, en esprit.
Tout cela dessinerait un tableau bien terrible de ce qu’il faut faire pour devenir disciple du Christ : tout abandonner, se détacher de ses proches, aimer ses ennemis, porter sa croix, se renier soi-même (Marc, 12, 34). Mais toutes ces paroles doivent être remises dans leur contexte, et dans la perspective d’autres paroles. Ainsi, quand le démoniaque gérasénien, une fois guéri, veut suivre Jésus, celui-ci lui demande de retourner auprès des siens pour porter témoignage dans son propre entourage. Ailleurs, le Christ assure que son « joug est aisé et [son] fardeau léger », ce qui veut dire qu’il ne demande rien de merveilleux ni au-dessus de nos forces : il cherche plutôt à nous libérer de ce que nous considérons comme nos biens et notre position sociale.
Si on suit les Évangiles, ce qui compte est de rencontrer Jésus et de pousser cette rencontre jusqu’au bout. Cela impose de savoir se détacher du monde, et de la place qu’on pense devoir y tenir, pour se donner pleinement à cette relation. Quand Jésus demande à ses disciples « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » (Jean, 13, 34), le « Comme je » est primordial. Jésus n’apporte pas tant une nouvelle doctrine qu’il ne rend vivante la tradition héritée de Moïse et des prophètes en l’assumant dans sa chair. Vraie incarnation de la parole de Dieu, il nous demande de sortir de nous-mêmes pour l’incarner à notre tour, en vrais disciples.
Gilles Plum